Origines et sens

Sur les origines et le sens d'avant

Préambule

 

Du fait des circonstances historiques d’élaboration du patrimoine immatériel de la Martinique, la pratique du kalennda-bèlè est confrontée aujourd’hui au danger de la perte de sens. Essayer de comprendre les danses telles qu’elles nous sont parvenues, de retrouver et de comprendre leur sens originel pose quelques difficultés. Concernant les pratiques et leur sens, nombre d’éléments de la tradition orale ont été déformés et/ou perdus.

 

Nous avons à notre disposition ce qui reste des mémoires (orales pour l’essentiel) de notre peuple, de la diaspora, et les écrits des voyageurs de passage, des colons et administrateurs coloniaux. 

 

Ce qui reste des mémoires de notre peuple réside dans les souvenirs éparpillés, morcelés, de ceux qui ont pratiqué ou vu pratiquer ces danses. Leur vision peut être parcellaire, car ancrée dans leur territoire géographique et social, avec une faible connaissance de ce qui pouvait se faire ailleurs. Les écrits, quant à eux, portent le plus souvent la marque des préjugés coloniaux et racistes de la plupart de celles et ceux qui les ont produits. 

A ce jour, les recherches, même si certaines sont en cours, demeurent peu nombreuses.

Un héritage lié à l’ancien système spirituel

 

A partir des informations livrées par les différents auteurs, et par la tradition orale, il se dégage une approche qui nous paraît fondamentale : kalennda recouvre un système culturel et spirituel inscrit dans la résistance à l’oppression coloniale.

 

Il n' y avait pas une kalennda mais des kalennda. Ces assemblées religieuses étaient des lieux où se reconstituait « la communauté », « la société », où les Africain.e.s réduit.e.s en esclavage (AFRES) construisaient leur nouvelle unité, où la résistance s'exprimait et souvent s'organisait. 

 

Pour certains auteurs (Jacqueline Rosemain, Gabriel Entiope), les kalennda étaient les danses religieuses des AFRES liées aux trois grands cultes de la fécondité : 

  • celui de la fécondité de la mort : célébration de la vie engendrée par la mort
  • celui de la fécondité/fertilité de la terre : célébration de la vie naissant de la relation de l’être humain à la terre
  • celui de la fécondité de l’être humain : célébration de la vie naissant de la relation homme/femme 

 

Certains Anciens nous disent, eux aussi, que la danse traditionnelle et ses rituels s’enracinaient dans des conceptions spirituelles de la vie : « Dansé, chanté épi bat tanbou sé lapriyè neg. » (Julien SABAN).

 

On aurait tort de rechercher, aujourd'hui, l'héritage du système culturel et spirituel uniquement dans les danses portant encore le nom de kalennda. Leur influence peut s'observer dans l'ensemble du kalennda-bèlè. Voyons des éléments qui perdurent dans le système actuel.

Sur le sens actuel

Quelle spiritualité dans le kalennda-bèlè aujourd’hui ?

 

Aujourd’hui, ces danses ne sont plus cimentées par un système religieux, mais par un ensemble de valeurs (les douze prensip fondok). Elles traduisent l’existence d’une spiritualité, en accord avec toutes les grandes sagesses du monde. Bien que moins évidentes que les formes religieuses, les formes de cette spiritualité sont bien présentes dans ce que les Anciens appellent lespri péyi dèyè-a, manniè-viv la. Voyons les marqueurs de l’ancien système qui demeurent. 

Tout d’abord, le won : c’est le cercle de l’énergie. Toutes les civilisations l’ont expérimenté : c’est apparemment la meilleure formation pour réceptionner, maintenir les énergies qui circulent et tenter de les harmoniser. La gestion énergétique de ce won se retrouve dans le wondi/déwondi : « Nou ka ranmasé tou sa ki bon, nou ka voyé alé tou sa ki pa bon » (Victoire PERSANI citée par Richard PHILIBERT).

 

Dans toutes les danses, il y a ce mouvement fondamental des danseurs et danseuses : la montée au tambour. Sé an manniè chajé kò’w. Le tambour est l’élément principal de régulation de l’énergie qu’il capte et redistribue à la communauté à travers les vibrations qu’il émet. 

 

L’allure générale du corps, la posture, kanman-an, symbolise elle aussi le rapport à l’Energie et à la terre, véritable déesse mère. Le corps se rapproche du sol, les pieds sont nus, pour être anchouké. Nos postures s’inscrivent dans un répertoire mondial et une expérience mondiale : on le retrouve dans les yogas, par exemple.

 

Les déhanchés et mouvements de bassin, loin de se limiter à des expressions érotiques, symbolisent la fécondité, la célébration de la vie. Cette partie du corps est un centre d’énergie puissant, celle qui relie les parties inférieures et supérieures du corps. C’est pour cela qu’elle est protégée en l’attachant : maré ren, mouchwè-a, kod-la.

 

Ce qui perdure également, c’est notre capacité à entrer en communion : monté o sélélé. Lorsqu’on parvient à harmoniser toutes les énergies en circulation dans lawonn, ce sont des moments magiques, des états proches de la transe.

 

Pour finir, nous avons également conservé les rapports entre générations (chacune ayant sa place et son rôle), notamment la place accordée à l’Ancien. Sa place reste fondamentale, comme un pont vers l’expérience accumulée oralement par la communauté depuis ses origines. 

En conclusion

 

Le kalennda-bèlè (et aussi le danmyé) est porteur d’un chemin de vie individuel et collectif qui nous aide à trouver l’Essentiel. Comme toutes les sagesses du monde, il peut certainement nous permettre d’affronter les problèmes modernes et contribuer à créer une alternative au système dominant actuel et à ses effets.

 

L’AM4 et Lakòdinasion Lawonn Bèlè ont systématisé les valeurs du DKB.