GLORIYÉ SEPTANM 1870

               « L’Insurrection du Sud » du 22 au 26 septembre 1870 (appelée encore « L’Insurrection de Martinique ») est, avec la Révolution anti-esclavagiste de mai 1848 et les évènements de décembre 1959 à Fort-de-France, un repère important de l’histoire martiniquaise. Elle incarne la lutte que mène notre peuple contre le racisme et pour la Dignité, contre l’exploitation et pour la Justice et la Transformation sociale, contre la négation de son existence et pour la Responsabilité nationale. 

 

               La révolution antiesclavagiste du 22 mai 1848 supprime l’esclavage. Cependant, elle ne met pas fin à l’exploitation, au racisme et à l’oppression politique.

Elle ne met pas fin à l’exploitation. On passe au système capitaliste, et du travail servile au travail salarié. Les anciens esclaves deviennent ouvriers agricoles, petits cultivateurs installés sur de petits lopins, souvent dans des mornes, difficiles à travailler. Le pouvoir colonial, pour maintenir les ouvriers sur les habitations, institue les lois GUEYDON en 1855 : travail obligatoire à partir de douze ans, port d’un livret ouvrier et d’un passeport intérieur à présenter chaque fois qu’on se déplace d’un quartier ou d’une commune à l’autre, sous peine d’être assimilé à un vagabond (avec amende et emprisonnement dans les ateliers disciplinaires). Ainsi, il est très difficile aux ouvriers de changer de patron, ils subissent une dure exploitation (très bas salaires), sont « casés » et s’endettent dans la boutique de l’habitation pour leurs besoins.

La Révolution antiesclavagiste ne met pas fin non plus au racisme et à l’oppression politique. L’appareil politique, administratif et judiciaire est entre les mains des grands propriétaires békés et des fonctionnaires métropolitains. Le racisme et le mépris des blancs vis-à-vis des noirs s’étalent en toute impunité dans la société.  De même, les libertés conquises en 1848 (droit de vote, droit à l’éducation, droit de la presse…) sont supprimées par le Second Empire de Napoléon III. 

 

               L’Affaire LUBIN  est l’étincelle qui met le feu aux poudres.

Léopold LUBIN, jeune cultivateur originaire du Marin, est sauvagement cravaché par un commissaire de marine français (AUGIER DE MAINTENON) qui juge que le cultivateur noir ne lui a pas cédé le passage assez vite (sur le chemin  Marin-Rivière-Pilote). Il porte plainte mais la justice n’engage aucune poursuite.  C’est pourquoi LUBIN inflige lui-même une sévère correction à son agresseur. Cette fois, la justice ne traîne pas et le condamne à cinq ans de bagne et une amende de 1500 Frs. Cette injustice entraîne une grande indignation populaire, d’autant plus que le béké CODÉ, propriétaire de l’habitation La Mauny à Rivière-Pilote, assesseur au procès, se vante d’avoir été responsable de la condamnation du « nègre qui avait osé lever la main sur un blanc ».  Il hisse aussi sur son habitation  le drapeau blanc des esclavagistes.

La résistance s’organise : collecte pour payer l’amende de LUBIN, comité de soutien pour dénoncer l’injustice et exiger sa libération, réunions régulières dans une maison à Rivière-Pilote de ceux qui deviendront les principaux chefs de l’insurrection).

 

               L’insurrection dure six jours.                    

Les principaux chefs (Louis TELGARD, Eugène LACAILLE, Daniel BOLIVARD, Auguste VILLARD) choisissent le 22 septembre pour déclencher l’Insurrection. Ils comptent qu’il y aura une effervescence favorable car c’est le jour choisi par le gouverneur pour faire annoncer dans toutes les communes la défaite militaire de la France devant les armées prussiennes, la chute de l’Empire et la proclamation de la République (synonyme, dans les esprits, de liberté et de progrès social). Ils savent aussi que le gros des troupes se trouve à Terre-Neuve pour protéger la flotte française.

 

Les insurgés se mettent en mouvement pour confisquer les terres des grands propriétaires fonciers et les répartir entre les paysans pauvres, renverser le pouvoir des blancs, punir les plus racistes. Les chefs ont en tête de créer une « République martiniquaise » à l’exemple de Saint-Domingue (Haïti).

Le 22 septembre, LACAILLE suivi de 300 combattant et TELGARD à la tête d’un millier d’hommes et de femmes avec un armement rudimentaire (coutelas, fusils de chasse, piques de bambous, bouteilles d’eau pimentée…) pénètrent dans Rivière-Pilote aux cris de « Mort aux blancs, Mort à Codé, Vive les Prussiens, Vive la République ! ». Ensuite, ils se répandent dans les campagnes et s’attaquent aux propriétés des békés qu’ils incendient. L’habitation de CODÉ est la première touchée. CODÉ, retrouvé deux jours plus tard dans un champ de cannes au sommet du Morne-Vent est exécuté sur place, au lieu appelé aujourd’hui « Croix-Codé ». Les actions se déroulent principalement la nuit. L’insurrection s’étend principalement aux communes du Marin, de Sainte-Anne, du Vauclin, du François, de Sainte-Luce, du Saint-Esprit, de Rivière-Salée, entraînant des milliers d’hommes et de femmes (ouvriers, petits cultivateurs travailleurs immigrés indiens et africains « kongos ») dans la lutte. On  procède à un début de partage des terres sur quatre habitations d’Aubermesnil au Saint-Esprit. Le rôle des femmes (surnommées « les pétroleuses » à cause des torches qu’elles fabriquent et utilisent) est particulièrement actif. L’histoire a retenu le nom de LUMINA SOPHIE dite SURPRISE, Rosalie SOLEIL, Madeleine CLEM.

 

               L’administration coloniale organise la répression, en utilisant la moindre erreur des insurgés.

L’Etat de siège est déclaré dans quinze communes (celles déjà citées, et aussi Diamant, Trois-Ilets, Ducos, Lamentin, Robert, Trinité, Gros-Morne où des incidents ou incendies sont signalés). Les troupes sont concentrées à la frontière du Sud pour empêcher la généralisation de l’insurrection à tout le pays. Le gouverneur fait appel aussi aux volontaires (mobilisant ainsi des forces importantes de la petite bourgeoisie assimilationniste en échange de la promesse du rétablissement du suffrage universel). On ne connait pas le nombre exact des morts mais on sait qu’ils furent au moins des dizaines à périr sous la rage des militaires et volontaires. Les derniers combats se déroulent le 26 septembre dans le camp retranché de la Régale (Saint-Esprit/Rivière-Pilote).

On procède à près de 500 arrestations. On organise une parodie de procès en 1871 devant le conseil de guerre. On prononce 75 condamnations. Cinq chefs sont exécutés, en décembre 1871, au polygone de Desclieux, à Fort-de-France (Eugène LACAILLE, Furcis CARBONNEL, Louis Gertrude ISIDORE, Cyrille MICAMOR, Louis Charles YOUTTE). 8 condamnations à mort par contumace. De nombreuses déportations au bagne sont prononcées à perpétuité ou pour un certain nombre d’années. Cependant, TELGARD, dont la tête a été mise à prix, n’a jamais pu être capturé. Les autorités coloniales et ses soutiens, à l’aide de ses instruments assimilationnistes, jettent  l’opprobre sur les insurgés, cherchent à enfermer les familles dans la honte, organisent le plus grand silence autour de cet évènement historique.

 

               Fort heureusement, les historiens et les militants font connaître la vérité et les familles ainsi que des pans entiers de notre peuple disent aujourd’hui leur Fierté. Le danmyé-kalennda-bèlè reflète la vie de notre peuple dans tous ses aspects. Il est un compagnon de ses luttes. Plusieurs chants portent d’ailleurs témoignage de la mémoire martiniquaise de cet évènement [La divinité - Pran kouwonn-la - Nou brilé koko Kodé (non enregistré) - Septanm 1870 (de Djo Désormeaux)].  Aujourd’hui, Des Martiniquais, de plus en plus nombreux, se saisissent de ce repère important de l’histoire martiniquaise.